Apparence physique

Faut-il être beau pour réussir ?

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Si la beauté est un critère de discrimination, elle a comme particularité d’être une discrimination positive, communément acceptée. En revanche, l’apparence physique, un des 25 critères de discriminations interdits par la loi, complique singulièrement l’accès à l’emploi – et de fait à la réussite. Jean-François Amadieu, sociologue et auteur de La société du paraitre (2016) et Le poids des apparences – Beauté, amour et gloire (2005), tous les deux aux éditions Odile Jacob, répond à nos questions.

Existe-t-il une définition de la beauté?

Pas réellement. La beauté est avant tout une histoire de normes dans une société, qui changent selon les époques ou les lieux. Dans une société donnée, il existe des préférences, des normes de beauté largement partagées par les individus à un moment donné : au XIXe siècle par exemple, on aimait les femmes plus rondes qu’aujourd’hui. Il y a un consensus, un accord très large sur le fait que telle personne est considérée comme belle. On pourrait dire que la beauté, c’est avant tout une belle apparence. Les Américains parlent de physical attractiveness.

La beauté facilite-t-elle la réussite professionnelle?

La discrimination par la beauté existe de façon positive, et est communément admise voire assumée et considérée comme normale. Dans un sondage dont j’ai conçu les questions, 56 % des femmes et 44 % des hommes pensent que les atouts physiques sont nécessaires pour réussir une vie professionnelle en France. Pour une femme sur quatre (contre un homme sur cinq), « sans charme, une femme ne pourra jamais réussir ». Cet état de fait est largement accepté, voire assumé et considéré comme normal. C’est une façon de conserver la reproduction de l’élite. Apparence physique et origine sociale sont très liées, c’est ce qui fait que c’est aussi fort et a un tel impact. On ne se moque pas des gens beaux, on les admire…

Quand on parle de beauté, on parle de filigrane de la laideur?

Je dirais qu’on parle surtout de discrimination par l’apparence.  Parmi les 25 motifs de discrimination, l’apparence physique comporte plusieurs variables qui se combinent entre elles (âge, taille, la corpulence, teint de peau, façon de se vêtir, coiffure, maquillage, percing, tatouage…). La beauté est beaucoup plus compliquée à objectiver que la grosseur par exemple (IMC) ou la taille (centimètres).

L’âge et l’apparence physique sont des motifs de discrimination très liés. La beauté est associée à la jeunesse et les stigmates du vieillissement – les rides, les taches de vieillesse, la prise de poids-, renforcent la discrimination. Ce n’est pas tant l’âge chronologique qui compte que ce à quoi vous ressemblez…

Comment expliquez-vous le fait que certains sujets de discrimination sont plus combattus que d’autres ?

Il faut avant tout en parler, et arrêter de considérer que ce n’est pas un sujet. La prise de conscience de l’importance de la grossophobie comme de la question des seniors est venue de femmes qui venaient témoigner du sort qui leur était réservé. Elles dressent un tableau très sombre :  difficultés à l’embauche, accès à l’emploi, déroulement de carrière. Ces sujets n’émergent jamais grâce aux politiques de diversité des entreprises ou des gouvernements. C’est le corps social (les consommateurs, les salariés, les seniors, les gens qui sont en surpoids, bref tout ceux qui souffrent de discrimination, qui sont moqués à cause de leur apparence) qui font prendre conscience de ces réalités.

Les entreprises ont-elles un quelconque pouvoir de faire changer les choses ?

Elles s’honoreraient par exemple de refuser les CV avec photo. Elles bénéficieraient de l’effet « The Voice », c’est-à-dire de la sélection à l’aveugle, sans voir le candidat. Cette émission a un succès mondial incroyable, cette méthode de sélection parle beaucoup aux gens, qui voient immédiatement à quoi ça correspond. Dans certains pays, des profils très différents ont gagné. Depuis longtemps, je pense que le message des entreprises devrait être : on ne vous juge pas sur votre trombine. Ne mettez pas votre photo. Certaines ont le label diversité, mais traitent des CV avec photo, voire les demandent. C’est incohérent. Je suis aussi tenant de l’anonymat des candidatures, qui supprime la discrimination sur le nom et sur l’adresse. De la même façon, des entretiens vidéo sont à proscrire, d’autant plus que les nouvelles technologies facilitent le jugement sur le physique, même si c’est illégal. Les réseaux sociaux participent de tout ça, en donnant la possibilité d’analyser ce qu’on publie (les photos des amis, des lieux où l’on se trouve, qui peuvent fournir des indications importantes sur l’origine sociale par exemple…).

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Qu’en dit le Défenseur des droits ?

Le défenseur des droits dans son guide Le physique de l’emploi, l’apparence physique est un critère de discrimination, rappelle que « les discriminations liées à l’apparence physique sont interdites, notamment au travail (articles 225-1 du Code pénal, L. 1132-1 du Code du travail et 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983).

Il définit la discrimination liée à l’apparence : « Il y a discrimination lorsque vous êtes victime d’un traitement défavorable à cause de votre apparence corporelle – caractéristiques physiques innées ou apparues, non modifiables (traits du visage, silhouette, corpulence, couleur des yeux, de la peau, handicap visible…)- ou  vestimentaires (vêtements, coiffure, tatouages, piercings… ) »

Il souligne que bien souvent, nous sommes victimes de stéréotypes et de préjugés inconscients : les tatoués sont indisciplinés, les obèses paresseux, les femmes minces performantes ou les hommes en cravate sérieux….

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Par Véronique Pierré