Maintien dans l’emploi suite à un cancer : le bilan d’une expérimentation réussie  

Chaque année, en France, 430 000 personnes apprennent qu’elles souffrent d’un cancer. Dans les deux ans qui suivent le diagnostic, 80 % des 20 % qui étaient en activité professionnelle reprendront le travail. Pour que ce retour à l’emploi soit le plus fluide possible, l’association « Entreprise et Cancer » a co-développé un outil digital permettant de détecter les signaux faibles chez ces travailleurs plus fragiles. Les explications de Nathalie Vallet-Renart, co-fondatrice de l’association. 

Pouvez-vous expliquer la genèse du projet « Signaux Faibles » ?  

Nathalie Vallet Renart

L’association « Entreprise et Cancer », qui existe depuis 2013, a pour ambition de favoriser le maintien et le retour au travail des personnes atteintes d’un cancer. Dans le cadre de cette mission, nous organisons des actions de sensibilisation et nous répondons à des appels à projets pour financer des travaux de recherche et des études. En 2023, nous avons répondu à celui de la DREETS Auvergne Rhône-Alpes avec un projet appelé « Signaux faibles ». Il vise à identifier les indices relatifs aux impacts des effets secondaires des traitements et au risque de récidive. Car d’après nos études, 63,5 % des personnes ayant été malades souffrent de séquelles dues au cancer ou à ses traitements jusqu’à 5 ans après le diagnostic. Or, d’après l’Institut national du Cancer, 80 % des personnes touchées par un cancer reprennent leur travail dans les deux ans qui suivent le diagnostic. 

En quoi consiste cet outil d’accompagnement ?  

L’outil, qui doit faire partie d’un processus d’accompagnement plus global à destination des personnes malades, a pour objectif d’identifier précocement les signaux faibles d’un mal-être, c’est-à-dire tous les petits indices qui surviennent et qui peuvent laisser entendre que le salarié vit un retour au travail difficile. Concrètement, l’outil pose par SMS ou par mail des questions – dont les réponses restent confidentielles – au salarié. Et si des signaux faibles s’accumulent, l’outil déclenche une « alerte » auprès d’un référent formé, qui peut être un responsable RH, une personne de la mission handicap, un collègue de travail… Les questions portent sur le rythme de travail, la qualité des relations avec ses collègues, l’insécurité financière… In fine, l’objectif est que le salarié qui se sent mal réussisse à se tourner vers une personne de confiance pour qu’ensemble, ils trouvent des solutions de remédiation. 

Quelles difficultés les salariés souffrant d’un cancer rencontrent-ils lorsqu’ils reprennent le travail ? 

Il faut d’abord garder en tête qu’il y a heureusement plein de situations où le retour au travail des personnes touchées par un cancer ne nécessite aucun dispositif d’accompagnement. Mais ce qui ressort le plus, c’est la violence des effets secondaires liés au traitement. Outre la fatigue, ces salariés ont des troubles cognitifs qui peuvent altérer leur concentration, leur compréhension… Les produits utilisés pendant les chimiothérapies tuent à la fois les cellules cancéreuses et les « bonnes » cellules. Aujourd’hui, les solutions que les entreprises peuvent proposer sont de plusieurs ordres. Cela peut être mieux aligner le temps de travail avec le contenu des missions, adapter la charge de travail… D’après nos chiffres, environ 50 % des postes de travail tenus par des salariés atteints d’un cancer font par exemple l’objet d’aménagements. 

Vous avez expérimenté cet outil auprès de 14 salariés de 8 entreprises de taille différente, dans la région Auvergne Rhône-Alpes. Quel est le bilan de cette expérimentation ?  

Le bilan est extrêmement positif. Tout au long de l’expérimentation, le taux de réponses des salariés testeurs a été très bon. L’outil a convaincu 85 % des répondants. 93 % sont même prêts à le recommander. Les questions sont jugées pertinentes et les alertes émises justifiées. L’expérimentation a également mis en exergue certains prérequis importants, notamment dans le rôle du référent, qui doit avoir des qualités d’écoute, être engagé dans son rôle, connaître les dispositifs de maintien dans l’emploi et, de préférence, avoir déjà une relation de confiance préexistante avec le salarié. Aujourd’hui, je constate qu’il y a une volonté de la part des entreprises de bien accueillir les personnes qui reprennent leur travail après un cancer. Pour autant, comme la maladie est un sujet qui relève de l’intime et du sensible, elles peinent encore à engager le dialogue. L’outil répond aussi à cette attente.  

Quelle suite allez-vous donner à cette expérimentation ? 

Puisque l’expérimentation s’est traduite par des résultats positifs, nous allons désormais essayer de la promouvoir auprès des entreprises. Avant cela, nous devons toutefois trouver un business modèle à cet outil et rechercher des financements pour le déployer. Les entreprises Allianz et Randstad, qui ont été partenaires de cette expérimentation, se montrent par exemple intéressées. En parallèle, nous réfléchissons à un essaimage de l’outil. Nous pensons qu’il pourrait s’adresser à d’autres types de malades, et pas uniquement aux malades d’un cancer. Par exemple à ceux qui souffrent de maladies chroniques évolutives, d’affection de longue durée, à ceux ayant vécu un arrêt cardiaque… Cela suppose toutefois de créer d’autres bibliothèques de questions, avec des professionnels médicaux. 

Par Aurélie Tachot

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