En France, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’un travailleur sur quatre est atteint d’une maladie chronique évolutive. Pourtant, le sujet est encore tabou, notamment au sein des entreprises. Comment briser les préjugés ? Quelles initiatives mettre en place pour favoriser l’inclusion des personnes malades ? Éclairage.
Qu’est-ce qu’une maladie chronique évolutive ?
Une maladie chronique évolutive (MCE) est une maladie de longue durée, évolutive dans le temps et souvent associée à une invalidité et/ou à la menace de complications graves. Par définition, elle ne se guérit pas. Si elle est difficile à gérer tant pour l’individu que son entourage (personnel, professionnel…) c’est parce que la chronicité de ce type de maladie se manifeste par l’alternance de périodes critiques et de périodes stables et par l’imprévisibilité de son évolution. Selon l’OMS, la maladie chronique constitue ainsi « un problème de santé qui nécessite une prise en charge sur une période de plusieurs années ou plusieurs décennies. »
Les MCE regroupent des maladies diverses comme des maladies transmissibles ou non, certaines maladies mentales, les altérations anatomiques et fonctionnelles… Parmi les plus répandues : le sida, certaines hépatites (B et C), le cancer, le diabète, la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, l’épilepsie, la maladie d’Alzheimer, l’asthme, les rhumatismes, la myopathie… Comme certaines ce ces maladies ne se voient pas à l’œil nu, il est difficile, pour un employeur, de les déceler chez leurs salariés qui choisissent de rester silencieux. Certains signaux peuvent toutefois alerter les entreprises : la multiplication des arrêts maladie, des troubles de la concentration, une fatigue physique…
Quel est le rôle de l’employeur dans le maintien du salarié malade au sein de son équipe ?
Lorsque la santé d’un salarié impacte son travail, « l’employeur est tenu d’adapter son poste en suivant les préconisations du médecin du travail. Cela concerne l’aménagement de poste, de matériel, de l’environnement de travail, de temps de travail », indique le Ministère du travail. Dans le cas où le maintien au poste du travail est préjudiciable à la santé du salarié, ce dernier devient inapte et son employeur est, dans ce cas, tenu de lui proposer un reclassement sur un autre poste au sein de l’entreprise. Mais en réalité, toutes les entreprises ne sont pas sur le même pied d’égalité en matière d’accompagnement. « Il faut faire la différence entre les grandes entreprises qui, pour certaines, ont des services de médecine du travail intégré, qui ont pu développer des processus assez aboutis sur le traitement des situations de maintien dans l’emploi ou qui sont dotées d’un référent handicap ainsi que les petites entreprises qui ne disposent pas de ressources pour gérer globalement les questions de handicap », alerte Pierre Privat, délégué régional à l’Agefiph.
Outre l’employeur, l’appui du manager est capital. C’est à lui de modifier l’organisation de son équipe, de redéfinir les besoins en ressources, de dispatcher différemment les missions entre les travailleurs afin, par exemple, d’alléger son collaborateur malade. La difficulté est également de réussir à anticiper les absences du salarié fragile. Cela permet de répartir correctement la charge de travail. Enfin, il incombe au manager le soin de communiquer sur la maladie de son salarié afin de casser les préjugés et d’éviter que des malentendus s’installent insidieusement. Et pour cause : selon Cap Santé Entreprise, ce n’est pas tant la surcharge de travail qui fragilise l’équipe « mais la difficulté à gérer les relations interpersonnelles avec le salarié malade », indique l’association.
Quelle attitude adopter à l’égard d’un salarié en longue maladie ?
Pour un salarié atteint d’une maladie chronique évolutive, le maintien dans une dynamique professionnel est capital : c’est ce qui lui permet de garder sa place dans un environnement social non corrélé à sa maladie. Cela impacte donc positivement son bien-être. En cas d’absence prolongée du collaborateur, le manager doit garder le contact avec lui, avec bienveillance et empathie. Prendre de ses nouvelles, le tenir à jour des changements notables au sein de l’équipe, lui partager les succès de l’équipe sont autant de moments de vie qu’il peut, par exemple, aborder avec lui pour entretenir son inclusion dans l’entreprise et le rapprocher du « quotidien » professionnel de ses collègues.
Les professionnels RH ont également un rôle à jouer. Ils peuvent, eux aussi, contacter le salarié malade pendant son arrêt de travail, de façon non-intrusive. « Il est légalement tout à fait possible de rester en contact avec un salarié en arrêt de travail, sauf si ce dernier émet le souhait contraire. Un arrêt maladie n’interdit pas la communication, tant qu’elle n’implique pas de travail de la part du salarié. Cela doit toutefois s’inscrire dans une démarche bienveillante, sans remettre en cause la durée de l’interruption et dans le respect du secret médical et de la vie privée », indique Pierre Privat. En réalité, c’est même plutôt conseillé : le silence d’un employeur pouvant être interprété comme un manque de sollicitude par le salarié absent. Le service RH peut tout à fait projeter le salarié dans son futur retour et lui parler des dispositifs d’accompagnement qui existent au sein de l’entreprise (visite de pré-reprise, dispositif de Prévention de la désinsertion professionnelle (PDP)… à l’occasion d’un RDV de liaison, instauré par la loi du 2 août 2021 sur la prévention en santé au travail. Un entretien pour reparler du projet professionnel du salarié peut également être organisé.
Comment bien encadrer un salarié de retour après une longue maladie ?
La clé de la réussite, c’est l’anticipation. Un mois avant son retour, il est conseillé de prendre contact avec le salarié pour nourrir son sentiment d’appartenance à l’entreprise, déceler son degré de motivation, lever ses doutes, répondre à certaines de ses interrogations… Il convient ensuite de préparer la reprise, notamment « en l’aidant à identifier les personnes ressources et les dispositifs pouvant les accompagner à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise », conseille le cabinet de conseils WeCare@Work. Parmi ces aides : le service social, les RH mais aussi la médecine du travail, qui déterminera les aménagements nécessaires (horaires, tâches, rythme de travail…) et qui suggérera au salarié de faire une demande de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH).
L’accueil du collaborateur le jour de sa reprise doit, lui aussi, être préparé. Au cours d’une réunion collective, le manager peut expliquer les changements survenus pendant son absence tandis que les collègues de travail peuvent débriefer sur une nouvelle organisation. Tout l’enjeu est de « remettre la personne malade dans un climat de confiance et de l’intégrer au projet commun de l’entreprise », selon WeCare@Work. Le manager peut enfin prévoir un point individuel avec son collaborateur afin d’anticiper certaines difficultés qu’il pourrait rencontrer. Il arrive par exemple qu’un salarié doive suivre une formation pour apprendre à utiliser un nouvel outil de travail déployé pendant son absence.
Quelles actions mettre en place au sein de l’entreprise pour prévenir la stigmatisation des malades ?
Le milieu de l’entreprise est souvent considéré comme celui du rendement et de la productivité. Ainsi, tout ce qui peut entraver cet objectif est souvent mal vu des employeurs comme des équipes. Même si la parole se libère sur le sujet de la maladie, les entreprises ont tout intérêt à prévoir des actions dédiées pour éviter de stigmatiser les personnes atteintes de maladies chroniques et ainsi rendre leur environnement de travail plus bienveillant. La formation est un bon moyen pour déconstruire certains clichés sur les salariés malades. Mais aussi pour sensibiliser ses équipes à des sujets comme l’invisibilité d’une maladie, la fatigabilité, la variabilité propre aux maladies chroniques évolutives…
Pour être efficaces, ces actions de formation doivent impérativement s’inscrire dans la durée. Il est inutile de former une fois par an ses équipes sur ces sujets. Nous devons sensibiliser les entreprises de manière fréquente. Ainsi, elles réussiront à changer le regard de tous sur les salariés malades. Les managers comme les équipes RH doivent, elles aussi, être formées sur le sujet afin d’éviter de discriminer – de manière consciente ou non – les personnes malades dans la promotion interne, l’évolution de carrière, l’accès à la formation…