L’endométriose est une maladie gynécologique chronique qui touche une femme sur 10 en France. Camille Derveaux Ringot fait partie des 2 millions de femmes qui en souffrent. Aujourd’hui entrepreneure accomplie, cette jeune maman a dû refuser une promotion lorsqu’elle s’est aperçue que son nouveau poste ne serait pas compatible avec ses symptômes invalidants. Témoignage.
Depuis quand souffrez-vous d’endométriose ?
Depuis 2010, je souffrais de troubles digestifs particulièrement forts, qui pouvait causer des vomissements et des évanouissements. En 2015, après avoir été suivie sans succès pour une maladie de Crohn, j’ai appris que je souffrais finalement d’endométriose. À l’époque, c’était une maladie que ni mon entourage ni la société ne connaissait. J’ai dû repartir de zéro et m’entourer de médecins spécialisés dans cette maladie. Par chance, ils étaient à Paris et j’y habitais aussi. Pour autant, comme ils étaient relativement rares à prendre en charge cette maladie, j’ai dû attendre 8 mois avant d’avoir un premier rendez-vous ! Dans le même temps, je travaillais à l’Inspection générale de la Société Générale, qui est chargée d’inspecter toutes les filiales du groupe à l’échelle internationale. Mon poste supposait beaucoup de déplacements, que je subissais. Lorsqu’un matin, on m’a annoncé la « bonne nouvelle », c’est-à-dire que j’étais missionnée pour 9 mois au Mozambique dès la semaine qui suivait, j’ai compris que mon travail ne serait pas compatible avec ma maladie. J’ai choisi de démissionner.
Avez-vous envisagé d’en parler à votre employeur plutôt que de démissionner ?
Non, je ne le sentais pas ! J’étais à l’époque entre la colère et le déni, donc à 1000 lieues d’imaginer en parler à un employeur. L’année d’après, en 2015, lorsque j’ai travaillé au sein d’une start-up quasi-exclusivement masculine, j’avais tenté d’en parler avec la personne en charge des ressources humaines (mais qui n’avait pas été formée à ce poste). Je me souviens qu’elle m’avait d’emblée parlé du statut de travailleur handicapé, dans lequel je ne me reconnaissais pas. J’étais tellement dans le déni que j’avais mal pris sa remarque. En 2016, lorsque j’ai postulé au sein d’un cabinet de conseils puis, en 2018, chez L’Oréal, j’ai choisi de ne toujours pas parler de ma maladie. Même si l’environnement de travail était bienveillant, j’avais le sentiment qu’il fallait que je fasse mes preuves avant. Je craignais que ma maladie me joue des tours et entrave mon évolution de carrière. J’avais peur de faire l’objet d’amalgames et qu’on dise de moi que j’étais moins productive du fait de ma maladie. Ce n’est que lorsque je suis devenue maman, en 2021, que j’ai décidé d’arrêter de me taire.
Sur votre lieu de travail, aviez-vous recours à des « stratégies » pour masquer votre maladie ?
Lorsque j’étais chez L’Oréal, j’étais prise en charge de manière plus globale et je me sentais mieux. Je voyais des kinés, des ostéopathes, je faisais du yoga, je suivais des séances de psychothérapie… À force de soulager la douleur et de travailler la reconnexion avec mon corps, je me suis sentie réalignée. Ainsi, lorsque je travaillais chez L’Oréal, ma maladie était donc « invisible ». Parfois, je portais un « tens », qui est un appareil d’électrostimulation qui vise à soulager la douleur. Comme il était placé sous mes vêtements, sur l’aine, je pouvais marcher normalement et il ne se voyait pas. Pour autant, je mettais quand même en place des stratégies pour ne pas mettre la puce à l’oreille de ma hiérarchie. Je m’arrangeais pour réaliser mes rendez-vous médicaux tôt le matin, avant d’aller au bureau. C’était malgré tout difficile de prendre autant sur moi. Un jour, ma manager enceinte se plaignait de devoir enchaîner les rendez-vous médicaux et du fait que je ne pouvais pas comprendre… C’était blessant à entendre. Avec le recul, cacher ma maladie à mon employeur n’a fait qu’alourdir ma charge mentale.
En 2022, vous avez quitté le monde du salariat au profit de l’entrepreneuriat…
Oui, j’ai créé la marque Gyneika en 2022 avec l’aide d’une ingénieure biologiste et d’une docteure en pharmacie. C’est une gamme de micronutrition spécialement conçue pour les femmes souffrant d’endométriose. Cette idée m’est venue en janvier 2021 pendant mon congé maternité – alors que j’étais encore chez L’Oréal – et elle ne m’a plus jamais quittée depuis. Cela illustre la grande détermination qui caractérise souvent les personnes souffrant d’endométriose : elles ont tellement envie de prouver qu’elles sont productives au travail qu’elles font preuve de beaucoup de volonté ! Aujourd’hui, nos produits sont prescrits par des gynécologues, conseillés par des kinésithérapeutes et consommés par environ 5000 clients en France. En parallèle, j’organise des ateliers au sein des pharmacies pour sensibiliser les femmes atteintes d’endométriose sur plusieurs sujets dont la gestion de la douleur, l’alimentation anti-inflammatoire, les soins de support… Cela me permet de transmettre, aux femmes, ce que j’ai appris au cours de mon expérience.
Quels conseils donneriez-vous aujourd’hui aux travailleuses souffrant d’endométriose ?
Puisque l’endométriose provoque des symptômes invalidants, je conseille aux femmes qui en souffrent de privilégier, dans la mesure du possible, le télétravail. Cette pratique me permet aujourd’hui d’adopter la position que je veux lorsque je suis devant mon ordinateur, de travailler avec une bouillote sur le ventre et de mieux respecter mon régime anti-inflammatoire. Je leur conseille également de pratiquer la méditation afin de réduire le stress, qui est l’un des facteurs qui génère les crises d’endométriose. Quant au fait de prévenir son employeur ou non, c’est une question propre à chacun. Lorsque je l’ai finalement fait, avant de quitter L’Oréal pour lancer mon entreprise, j’ai trouvé une oreille attentive auprès de ma manager. Elle m’a posé beaucoup de questions, s’inquiétait des impacts de la maladie sur ma vie personnelle… Elle avait une formation de pharmacienne et était donc sensible au sujet. Je ne sais pas si c’est le cas de tous les managers… Mais personnellement, je me suis rendu compte que masquer ma maladie au travail m’a provoqué une fatigue et un stress supplémentaires.