Sommet de l’Inclusion Économique 2024 « Le communautarisme économique enferme les élites dans un entre-soi » 

Cela fait plus de 15 ans qu’il tente de rendre visibles les talents issus des quartiers prioritaires… Saïd Hammouche, président fondateur du groupe Mozaïk et membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) revient sur la 4e édition du Sommet de l’Inclusion Économique, qu’il co-organise chaque année. Interview d’un homme, fils d’immigrés marocains, qui a grandi en Seine Saint-Denis et qui fait aujourd’hui rayonner le multiculturalisme. 

Le Sommet de l’Inclusion Économique, qui s’est déroulé le 25 et 26 novembre à Paris, vient tout juste de se terminer. Quel bilan tirez-vous de cette quatrième édition ?  

Saïd Hammouche

Nous sommes ravis ! Durant l’année, les rendez-vous au cours desquels les décideurs économiques et politiques peuvent se rencontrer, partager des expériences et créer des dynamiques communes ne sont pas nombreux. C’est l’une des raisons pour lesquelles cette 4e édition était très attendue par les professionnels. Cette année, nous avons réussi à faire le lien entre les principaux défis auxquels les entreprises sont confrontées. Pour nous, ce qui relie la transition écologique, la généralisation de l’intelligence artificielle et le vieillissement démographique, c’est la capacité des entreprises à s’appuyer sur l’inclusion. Alors que les acteurs du plan d’investissement « France 2030 » sélectionnent leurs futurs opérateurs pour relever les défis de demain, notamment en faveur de la transition écologique, nous avons, de notre côté, un vivier de candidats disponibles, que nous pouvons former aux métiers de demain et sensibiliser aux enjeux environnementaux.  

Quels ont été les temps forts du Sommet de l’Inclusion Économique ?  

Le premier temps fort a été l’appel à mobilisation de Fanny Picard, présidente d’Alter Equity et de Kyril Courboin, président de J.P. Morgan France, tous deux membres du comité d’orientation de la Fondation Mozaïk. Leur intervention a stimulé les acteurs économiques présents. Le second temps fort a été l’organisation des « Rencontres CEO Talents », au cours desquels plusieurs dirigeants ont rencontré des candidats venus de tous les horizons. Charlotte Vandeputte, Associée Deloitte et Responsable Talents, s’est par exemple montrée très impliquée. Elle a accepté de passer du temps avec plusieurs talents qu’on avait préalablement sélectionnés, à l’image d’Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts, l’an dernier. Dans ce format, ce sont autant les jeunes qui apprennent des CEO que les CEO qui apprennent des jeunes. Ces rencontres permettent par ailleurs de casser certains stéréotypes que les jeunes ont des dirigeants d’entreprises, par exemple sur leur manque d’accessibilité.  

Cette année, le thème du Sommet était : « Agir pour la France des tours et des bourgs ». Selon vous, quels freins empêchent les publics de ces territoires d’accéder au marché de l’emploi ?  

Ces profils font encore l’objet de discriminations. Au sein des territoires défavorisés, les 15-74 ans ont un taux d’emploi qui est inférieur de 20 points par rapport à la moyenne nationale, selon un rapport du CESE. Même s’ils le souhaitent et qu’ils sont aptes à travailler, ces candidats marginalisés ne parviennent pas à intégrer le marché de l’emploi. En France, je pense aussi que le service public n’est pas suffisamment au rendez-vous sur le sujet de l’inclusion. Le pays a besoin d’outils plus spécifiques, par exemple d’une cellule dédiée au sujet, d’un facilitateur comme Mozaïk. Nous réclamons par exemple un service complémentaire à France Travail qui pourrait s’appeler « France Inclusion ». Même si nous avons rappelé cette idée au cours du Sommet de l’Inclusion Économique, elle n’a pas suffisamment été entendue par les dirigeants politiques. Parce que nous ne voulons pas les attendre, nous comptons donc sur les entreprises privées pour rapidement faire bouger les lignes. 

Quel est le niveau de maturité des entreprises sur le sujet ? Évolue-t-il dans le bon sens ?  

Aujourd’hui, nous distinguons trois catégories d’entreprises : celles qui se fixent des objectifs en matière d’inclusion, celles qui sont intéressées par le sujet mais pas encore engagées ainsi que celles pour qui le sujet n’est pas prioritaire. La plateforme DiversifiezVosTalents.com, qui est passée de 10 000 à 30 000 offres d’emploi en l’espace de 8 semaines, prouve toutefois qu’elles ont pris conscience de l’importance de recruter dans les quartiers prioritaires de la ville. Cependant, ce sujet est loin d’être stabilisé. D’après une étude que nous avons menée avec le cabinet Meandyoutoo auprès des entreprises du SBF 120, la représentation ethno-culturelle au sein de leur Comex est descendu à 3,2 % (versus 3,5 % l’an dernier). Aujourd’hui, encore 65 % des entreprises du SBF 120 n’ont aucune diversité ethnique dans leurs Comex. Il est temps de mettre fin au communautarisme économique, qui enferme les élites dans un entre-soi et limite l’accès à la richesse et au pouvoir à un groupe homogène. 

A lire également :