En France, le nombre de naissances a reculé de près de 20 % depuis 2010. Un recul de la natalité qui inquiète le gouvernement, qui envisage la création d’un « congé de naissance ». Pour Sabrina Tanquerel, professeure associée en gestion des RH à l’EM Normandie, cette mesure passerait à côté des causes réelles et des freins auxquels sont confrontés les potentiels parents.
En 2010, vous avez débuté une thèse sur le sujet de l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle. Comment les mœurs ont-ils évolué au fil des années en entreprise ?
En 2010, peu d’entreprises se saisissaient du sujet de l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle. En France, on segmentait les différentes sphères de vie et on considérait que la vie privée des salariés n’était pas un sujet d’entreprise. En 2015, les organisations ont commencé à se saisir du sujet, essentiellement parce que deux cadres juridiques les contraignaient : celui de l’égalité homme/femme et celui de la santé au travail. Quelques initiatives ont alors émergé. Cependant, les normes qui régissaient les décisions, notamment RH, n’ont pas été remises en question. Aujourd’hui, la culture du présentéisme est toujours ancrée et les entreprises ont encore tendance à privilégier les salariés qui font beaucoup d’heures lorsqu’elles attribuent des promotions. De facto, la parentalité a tendance à desservir les carrières des hommes et des femmes devenus parents, même s’ils sont autant productifs. Par ailleurs, même si les entreprises signent des chartes de soutien à la parentalité et communiquent sur leurs initiatives, elles manquent souvent d’engagement et de sincérité sur le sujet.
Quels freins rencontrent les salariés parents en entreprise ?
Notre culture du travail, axée sur la disponibilité permanente et le don de soi, a tendance à cannibaliser les sphères familiales. Les parents de jeunes enfants sont particulièrement exposés aux conflits travail-famille, qui aboutissent sur une tension psychologique accrue. La crainte de ces injonctions éclaire le phénomène du « workisme », qui renvoie à la priorisation accordée à la réussite professionnelle, avec le corollaire de réduire l’espace pour la vie familiale. Sans surprise, la maternité creuse les inégalités salariales et a des impacts délétères sur la carrière des mères. La mauvaise répartition des tâches domestiques et parentales, dont la responsabilité continue d’être assumée à 64 % par les femmes, génèrent un stress 40 % plus élevé pour les mères de famille selon l’Observatoire des inégalités. Les pèreslorsqu’ils veulent vivre pleinement leur paternité, ont eux aussi tendance à être stigmatisés en entreprise. Ils sont donc peu nombreux à prendre leurs congés, de peur d’être pénalisés dans leur carrière. Il leur manque des rôles modèles capables, par leurs actes, de leur montrer le chemin.
Quelles initiatives les employeurs peuvent-ils mettre en œuvre pour soutenir la parentalité de leurs salariés, hommes comme femmes ?
En plus de développer la flexibilité au travail, par exemple via l’instauration du télétravail, il est intéressant de proposer un soutien financier à la garde d’enfants. Cela permet par ailleurs de rendre visible son engagement en faveur de la promotion de la parentalité. Le groupe Kering propose par exemple à ses salariés parents un congé paternité et maternité prolongé et rémunéré à 100 %. Les congés parentaux peuvent, eux aussi, être financés par les entreprises, par exemple durant un ou deux mois. C’est, là aussi, une preuve d’engagement sincère. Remettre à plat ses normes, c’est-à-dire ce qui conditionne qu’un salarié va être promu, augmenté ou muté est également capital. Cela suppose de réfléchir aux processus RH, de revoir les systèmes de récompense et d’avancement de carrière qui entrent en contradiction avec la biologie reproductive féminine. Enfin, les entreprises, doivent être sensibilisées à leurs propres stéréotypes. Lorsqu’elles recrutent, promeuvent et mènent des entretiens d’évaluation, les biais de leurs managers peuvent porter préjudice aux salariés parents.
Les chiffres clés à retenir !
- 30 % des femmes en âge de procréer en France ne souhaitent pas avoir d’enfants (IFOP, 2022)
- 63,5 % des parents actifs ont déjà envisagé de démissionner (Remote, 2024)
- 61 % des parents ont encouragé leur partenaire à quitter leur emploi pour gérer leurs enfants (Remote, 2024)
- 51 % des femmes travaillant à temps partiel indiquent l’être pour s’occuper des enfants versus 14 % des hommes (INSEE, 2022)
Les entreprises préfèrent-elles les salariés sans enfants ?
Les salariés qui ne sont pas parents sont, eux aussi, stigmatisés au travail ! « Ils se conforment à la norme du salarié idéal », confirmeSabrina Tanquerel. Et pour cause : contrairement à leurs collègues parents, ils peuvent travailler davantage, faire des heures supplémentaires… Bref, « ils sont plus corvéables ». Ces salariés estiment d’ailleurs être traités de manière injuste sur leur lieu de travail. D’après une étude de ResumeLab (2022), ils se voient plus souvent refuser des congés et disent avoir une charge de travail plus élevée que leurs collègues qui sont parents. « Leurs besoins seraient davantage marginalisés et leurs justifications pour demander du temps libre seraient considérées comme triviales ».