
Pourquoi tant d’entreprises hésitent-elles à miser sur les seniors ? Cette question, Emmanuel Grimaud, fondateur du cabinet Maximis RH, a tenté d’y répondre en octobre dernier, au cours d’un plaidoyer présenté au Sénat. Alors que la part des plus de 60 ans va continuer à croître dans les années à venir, l’expert alerte les entreprises sur l’importance de changer de regard sur ces salariés expérimentés. Interview.
Les seniors sont-ils les mal-aimés des entreprises ?
Les entreprises semblent gênées par l’âge seniorial, sans que cela ne soit jamais admis ! C’est logique : la société elle-même pratique au quotidien une forme de discrimination envers ces profils, qu’elle stigmatise. Dans de nombreuses cultures, l’expérience est valorisée. Les « anciens » sont respectés et leurs conseils sont recherchés. En France, on ne sait ni quoi en faire ni quoi en penser. Sur ce sujet, nous sommes pétris de croyances limitantes voire de préjugés, alors qu’à 50 ans ou 60 ans, les seniors ont encore beaucoup à donner. La majorité de ces profils n’aspirent qu’à continuer de s’épanouir dans leur travail, mais parfois de façon différente. Il faut donc que les entreprises soient en capacité de les rassurer, de leur donner de la visibilité, de les former et non de leur proposer des plans de départ !
Concrètement, comme encourager les entreprises à recruter des seniors ?
D’abord en cassant les nombreux préjugés qui les entourent. On dit d’eux qu’ils sont peu engagés… Effectivement, lorsque les entreprises leur proposent soit un plan de départ, soit d’aller au placard, ils se désintéressent de leur employeur. Et pourtant, ces profils savent se montrer loyaux et fiables lorsque leur employeur l’est en retour. On dit aussi des seniors qu’ils sont trop chers. Certes, comme ils ont avancé dans leur carrière, leur rémunération ont progressé. Pour autant, nombre d’entre eux – essentiellement les cadres – sont prêts à lâcher du lest, en baissant leur rémunération ou en réduisant leur temps de travail. C’est d’autant plus vrai que l’emprunt de leur maison est généralement remboursé, que les études de leurs enfants sont terminées et qu’ils se sont constitués une épargne.
Êtes-vous favorable à la mise en place de quota pour favoriser leurs embauches ?
Non, car la mise en œuvre de quotas – on le voit avec les femmes, les travailleurs en situation de handicap… – a des effets pervers comme la discrimination positive. Par ailleurs, on ne peut pas demander à une start-up de la Tech de recruter de la même manière qu’un grand groupe industriel du CAC 40, par exemple. Sur le sujet des seniors, mieux vaut responsabiliser les entreprises, travailler davantage sur l’intergénérationnel et avoir des objectifs d’amélioration, en suivant un index seniors par exemple. Les entreprises doivent reconnaître que l’expérience des seniors est un atout dans leur business. Elles l’ont vu pendant la crise sanitaire : alors que les plus jeunes étaient désemparés, les seniors – plus familiers des crises – avaient davantage de recul…
« La compétence n’a rien à voir avec les années » : extrait du plaidoyer d’Emmanuel Grimaud

« Ne dit-on pas, « La valeur n’attend pas le nombre des années » ? Pourquoi, à l’inverse, le nombre des années affecterait-il nécessairement la valeur ? La compétence n’a rien à voir avec les années. Le recul, la connaissance intime de l’entreprise, mais aussi une conscience croissante de l’intérêt général plutôt que d’une focalisation sur soi, sont autant d’atouts précieux. La vérité est qu’il faut un équilibre entre jeunes actifs et profils seniors, pour un enrichissement durable de l’entreprise, tant sur le plan économique qu’humain. Cela semble un poncif, mais il est important de le rappeler : chacun a beaucoup à apprendre de l’autre. Les directions des ressources humaines, pour peu qu’elles se saisissent du sujet, ont toutes les cartes en main pour changer la donne. C’est naturellement à elles qu’incombent prioritairement cette nécessaire (r)évolution. Elles doivent en être les fers de lance. »
Au travail, les seniors sont victimes de discriminations
- 23 % des seniors ont déjà vécu des discriminations au cours de leur carrière,
- 25 % des seniors disent qu’on leur a fait comprendre qu’ils étaient trop âgés pour un poste,
- 1 senior sur 2 déclare avoir eu des relations professionnelles dévalorisantes au cours des 5 dernières années.
- 33 % des seniors s’inquiètent pour leur avenir professionnel
Source : 17e Baromètre des discriminations dans l’emploi, mené par le Défenseur des Droits et le Bureau français de l’Organisation internationale du travail (OIT), décembre 2024.
Lidl instaure un entretien de carrière dédié aux seniors
L’enseigne Lidl, qui a signé en mai 2024 la charte de l’Acte 50+ initié par le groupe L’Oréal et le Club Landoy, multiplie les actions en faveur de ses salariés seniors, qui représentent environ 10 % de son effectif global. Le groupe a par exemple instauré un « entretien senior », qui permet aux salariés de plus de 55 ans de faire un point sur leur parcours et d’orienter ou de réorienter la suite de leur carrière en fonction de leurs nouvelles aspirations. « Cet entretien est également l’occasion d’apporter des réponses individualisées à leurs besoins : envie de transmettre leurs connaissances aux jeunes générations, aménagements de postes… », explique Laëtitia de Montgolfier, DRH de Lidl France.
Par Aurélie Tachot