En entreprise, le tatouage fait l’objet de préjugés négatifs 

Quoique courant – un Français sur cinq en porte un – le tatouage suscite des préjugés négatifs dans le milieu professionnel. Pire, il fait même l’objet d’une discrimination pendant le recrutement, d’après une étude publiée en janvier 2024 par l’EM Normandie. 

Les personnes tatouées jugées moins compétentes 

« Même si tous les secteurs d’activité ne sont pas logés à la même enseigne, il y a globalement beaucoup de préjugés qui entourent le fait d’avoir un tatouage », explique Sarah Alvès, enseignante-chercheuse à l’EM Normandie et co-auteure d’une étude qualitative sur le sujet. Les résultats de cette dernière étonnent, d’autant qu’on estime à environ 18 % le pourcentage de Français qui étaient tatoués en 2018 (versus 14 % en 2016). Un chiffre qui a dû continuer d’augmenter ces six dernières années. D’après l’étude, les personnes tatouées n’ont pas la cote en entreprise. Elles sont perçues comme peu sérieuses, peu fiables, extrémistes et moins performantes. En d’autres termes, « elles sont considérées comme moins responsables et moins compétentes », explique l’enseignante. Des résultats qui font écho à une étude de 2015 menée par le dermatologue Nicolas Kluger, auteur de « Mon tatouage et moi ». Il indiquait à l’époque que les personnes tatouées étaient notamment vues comme plus rebelles, consommatrices de substances illicites et enclines à la prise de risques.  

Les salariés camouflent leurs tatouages  

Pourtant, en apparence, le tatouage est socialement accepté. « Nos entretiens qualitatifs, menés auprès d’employeurs, nous indiquent qu’il est considéré comme n’importe quel style vestimentaire », explique Sarah Alvès. Mais en réalité, le tatouage est accepté à condition qu’il ne se voit pas ! Car contrairement aux caractéristiques physiques innées (être petit, albinos…), qui font l’objet d’une forme d’indulgence au sein des entreprises, « les caractéristiques « manipulables » comme le fait de porter un tatouage ou un piercing suscite un regard social défavorable », précise-t-elle. Résultat : « il n’est pas rare que les personnes dissimulent leur tatouage derrière un vêtement épais, un maquillage… de peur d’être jugées négativement par leurs collègues ou leurs supérieurs. Par ailleurs, les personnes souhaitant se faire tatouer choisissent souvent un emplacement non visible par un employeur », explique-t-elle. Et pour cause : dès lors qu’il apparaît aux yeux de tous, « le tatouage peut être à l’origine d’une discrimination, par exemple lors de l’embauche », assure l’enseignante. C’est d’autant plus vrai dans les secteurs d’activité dits « conventionnels » comme la finance, la banque, l’audit…  

Une discrimination qui passe sous les radars 

Le problème, c’est qu’en dissimulant leurs tatouages sur le lieu de travail, les salariés sont dans l’incapacité de s’exprimer pleinement. Car ce dessin, certes personnel, fait partie de leur identité. Or, « cela entraîne une dissonance cognitive et émotionnelle qui a un impact sur leur satisfaction et leur engagement au travail », précise Sarah Alves, qui travaille actuellement sur une enquête, cette fois-ci quantitative, sur le sujet. D’autant plus « si l’entreprise porte un message fort d’inclusion à l’interne comme à l’externe ». Par ailleurs, dans un contexte de guerre des talents, se priver d’une importante manne de candidats est un énorme gâchis. Autant de constats qui doivent encourager les entreprises à se pencher sur une discrimination impensée en entreprise : celle qui porte sur l’apparence physique, qui fait partie des 25 critères de discrimination interdits par la loi et répertoriés dans l’article 225-1 du Code pénal. Selon un baromètre réalisé par le Medef en 2022, l’apparence physique est pourtant la 2e source de discrimination potentielle sur le marché du travail, derrière l’âge et devant le diplôme. 

Témoignage : « J’ai été discriminée à cause de mon tatouage » 

Comme 13 millions de Français, Laure porte un tatouage. Sa particularité, c’est qu’il est assez visible. « Il part du derrière de mon oreille et descend tout au long de mon cou », explique-t-elle. Lorsqu’elle se fait tatouer en mars 2024, elle ignore que le dessin géométrique sur sa peau pourrait lui causer des torts. « En septembre 2024, j’ai postulé à un poste de « souscripteur dommages grands comptes » au sein d’une grande compagnie d’assurances. Lorsque j’ai été reçue en entretien, j’ai compris que mon tatouage allait être un frein », raconte-t-elle. Et pour cause : dès le début de l’échange, le recruteur l’interroge sur ce dessin. Les questions deviennent si nombreuses qu’elle finit elle-même par réorienter l’échange sur ses compétences pour le poste. Au milieu de l’entretien, le recruteur joue carte sur table. « Il me rappelle que le poste suppose de mener des « visites de risques », donc d’être physiquement aux côtés de clients importants. Et que ça nécessite une présentation irréprochable – ce sont ses mots. Très vite, je comprends que mon tatouage est le problème », se souvient Laure. Ce dernier ne pouvant pas être camouflé, Laure rappelle au recruteur que le plus important, pour ses clients, c’est sans doute d’être accompagné par un partenaire compétent. Puisque le recruteur ré-insiste sur ce point, Laure finit par mettre elle-même un terme à la rencontre. « Je ne postulerai plus jamais dans cette entreprise qui, malgré sa communication employeur, ne semble pas faire preuve d’inclusion envers ses salariés », conclut-elle. 

Tatouage en entreprise : l’exception du règlement intérieur !  

Dans les faits, toute discrimination liée à l’apparence physique (par exemple le porte d’un tatouage) est interdite par la loi. Cependant, le règlement intérieur de certaines entreprises, comme celui d’Air France, peut prévoir un code vestimentaire, à condition que les restrictions soient justifiées par la nature de l’emploi et de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, selon l’article L 1321-2-1 du Code du travail. Un salarié qui ne respecterait pas ce règlement peut faire l’objet d’une sanction pour faute disciplinaire.  

Par Aurélie Tachot

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