Alors que la Semaine européenne pour l’emploi des personnes en situation de handicap (SEEPH) débute, Didier Eyssartier, directeur général de l’Agefiph, fait le point sur les progrès – encore timides – des entreprises en matière d’inclusion des travailleurs handicapés.
Cette année, la Semaine européenne pour l’emploi des personnes en situation de handicap (SEEPH) porte sur le thème de l’égalité des chances. Pourquoi avoir choisi cet angle ?
Aujourd’hui, le sujet des travailleurs handicapés est essentiellement abordé sous l’angle de l’insertion, c’est-à-dire du recrutement et du maintien dans l’emploi. Plus rarement sous l’angle de l’évolution professionnelle. Avec cette thématique sur l’égalité des chances, notre volonté est donc de mettre davantage l’accent sur le développement des compétences des travailleurs en situation de handicap. Nous avons réalisé, en partenariat avec l’IFOP, une étude sur l’égalité des chances en emploi. Cette enquête indique notamment que les personnes en situation de handicap, qui sont souvent les grandes oubliées des plans de développement de compétences des entreprises, partagent pourtant les mêmes aspirations professionnelles que la population générale. Une grande proportion – 41 % selon l’étude – souhaite par exemple occuper une fonction managériale.
Quels freins les en empêchent ?
Ce qui les freine, c’est le fait qu’ils n’osent pas évoquer leur handicap. La majorité des cadres choisissent par exemple de le dissimuler, de peur d’être stigmatisés, d’être freinés dans leurs carrières ou d’être en décalage par rapport à la culture de la performance inhérente à leur fonction. Une étude menée avec l’APEC indique que seuls 2 % des actifs cadres affectés par un handicap déclarent disposer d’une reconnaissance administrative de leur handicap, contre 5 % pour l’ensemble des actifs. Les cadres qui s’y résolvent le font lorsqu’ils n’ont plus le choix : parce que leur état de santé se dégrade ou qu’ils ont besoin d’aménagements de poste. Aujourd’hui, ce n’est pas encore dans l’esprit collectif qu’un manager peut avoir un handicap comme difficulté. Cela ne fait pas partie du « cadre » du manager. C’est un préjugé que les rôles modèles peuvent toutefois essayer de combattre.
Voyez-vous des évolutions notables, au fil des années, en matière d’insertion des travailleurs handicapés sur le marché de l’emploi ?
Les employeurs ont désormais conscience du sujet. Les Jeux Paralympiques les ont certainement aidés à changer leur regard sur le handicap. À cette occasion, plusieurs messages forts sont passés. Un bout du chemin est donc fait. Cependant, celui-ci est encore long. Par ailleurs, ce n’est pas parce que les employeurs ont conscientisé le sujet qu’ils le traduisent par des actes. Aujourd’hui, nous devons nous retrousser les manches pour rendre l’insertion des travailleurs handicapés plus effective, l’égalité des chances étant l’affaire de tous. Les entreprises progressent, les résultats sont encourageants… mais nous sommes encore loin du compte. Beaucoup de préjugés perdurent et il subsiste une méconnaissance de la RQTH et plus globalement des droits qui y sont associés. Quant aux référents handicaps, ils sont relativement méconnus au sein des entreprises.
Quelles solutions permettraient, selon vous, de faire bouger les lignes ?
D’abord, les entreprises doivent intégrer le sujet du handicap dans leur communication employeur. Elles peuvent ensuite recruter différemment, par exemple en évaluant les compétences de leurs candidats sur d’autres critères que les diplômes. Cela permettrait aux travailleurs en situation de handicap, qui n’ont pas forcément le niveau de diplôme requis, d’émerger lors du sourcing. Former les managers est également une piste à exploiter : je regrette que la sensibilisation au handicap ne soit toujours pas intégrée dans leurs formations initiales. De la même manière, les référents handicap doivent monter en compétences et acquérir de l’expérience. L’écosystème de spécialistes du handicap, composé des associations, des Cap emploi, des médecins du travail… doit, quant à lui, se rendre plus visible pour mieux accompagner les entreprises, qui ne trouveront pas de solutions en étant seules.
Intégration des personnes handicapées dans le monde du travail : les chiffres clés à retenir 90 % des personnes en situation de handicap ont déjà été victimes de traitements injustes,36 % ont déjà observé des traitements inéquitables en raison de leur handicap,64 % se considèrent sous-payés,63 % ont déjà dû changer de métier ou de poste en raison de leur handicap. Source : étude IFOP « Égalité des chances en emploi : une réalité pour les personnes en situation de handicap ? », menée en juillet 2024.
Pour les femmes, c’est la double peine ! Les femmes en situation de handicap subissent une double discrimination liée à leur genre et à leur handicap. D’après l’IFOP, 82 % considèrent que la société est injuste (versus 73 % des hommes handicapés). D’où l’importance, pour les entreprises, de prendre en compte cette double vulnérabilité dans leurs politiques d’inclusion.