Sexisme ordinaire : « Former ses salariés est indispensable, mais pas suffisant » 

Des mots, des gestes, des non-dits, des blagues… Le sexisme ordinaire revêt plusieurs formes en entreprise. Ce phénomène touche aussi bien les femmes – 82 % disent y être confrontées régulièrement, selon le baromètre #StOpE – que les hommes. Comment identifier ces agissements ? De quelle manière les combattre ? La vision de Pascale Hardy-Amargil, fondatrice de l’agence de conseils et de communication Yes We Are.  

Qu’est-ce que le sexisme « ordinaire » ?  

« L’ensemble des attitudes, propos et comportements fondés sur des stéréotypes de sexe, qui sont directement ou indirectement dirigés contre une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe et qui, bien qu’en apparence anodins, ont pour objet ou pour effet, de façon consciente ou inconsciente, de les délégitimer et de les inférioriser, de façon insidieuse voire bienveillante, et d’entraîner une altération de leur santé physique ou mentale. » 

Source : Conseil Supérieur de l’Égalité Professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) 

Comment les entreprises se saisissent-elles du sujet du sexisme ordinaire ? 

La Loi Rixain, qui vise à favoriser l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, par exemple en accélérant la féminisation des instances dirigeantes, force les entreprises à travailler un certain nombre d’items, dont celui du sexisme ordinaire. Comme ce sujet devient sociétal et grandit, elles n’ont d’autre choix que de le regarder. Le baromètre 2023 de l’initiative #StOpE, lancée par L’Oréal, confirme d’ailleurs que les entreprises se saisissent du sujet. 65 % des salariés estiment que leur employeur est activement engagé contre le sexisme. En résumé, les choses bougent positivement, même si le chemin est encore long. Certaines entreprises, qui ont une culture profondément sexiste, partent de loin : chez elles, les salariés ne se rendent même pas compte de leurs agissements sexistes. Or, la racine du sexisme ordinaire, c’est le stéréotype de genre, qu’il est urgent de déconstruire. 

Qualifier un sexisme « d’ordinaire », n’est-ce pas le minimiser ? 

J’aime dire que le sexisme « ordinaire » a des conséquences « extraordinaires », au sens « hors normes ». En réalité, ce type de sexisme constitue la première étape vers des agissements qui peuvent être très graves. Le mot « ordinaire » est à mon sens bien choisi car il caractérise bien le fait que ce type d’agissements a lieu au quotidien. Ce sexisme peut prendre plusieurs formes. Le plus souvent, c’est par le biais de blagues ou de propos déplacés qui portent sur l’apparence physique (un poids, une calvitie…) ou la parentalité. Par exemple : « Ça va les petites chéries ? », « C’est quoi cette coiffure horrible ? » ou « Tu es encore capable de réfléchir en étant enceinte ? ». Les hommes sont, eux aussi, victimes de propos sexistes. D’après le baromètre #StOpE, deux tiers ont été face à des propos sexistes sur leur lieu professionnel. En particulier ceux qui évoluent dans des métiers dits « féminins ». 

Les nouvelles générations sont-elles plus progressistes sur l’égalité professionnelle ?  

Non ! D’après le rapport annuel de 2024 du Haut Conseil à l’égalité (HCE), qui vient tout juste d’être publié, il y a une polarisation croissante entre les jeunes femmes qui sont de plus en plus féministes et des jeunes hommes qui sont sensibles à des discours « masculinistes ». Non seulement les stéréotypes de genre perdurent, mais certains codes qu’on croyait enterrés émergent de nouveau : une large majorité des hommes de 18-24 ans estiment par exemple qu’un homme est davantage fait pour être patron qu’une femme… En entreprise, nous intervenons justement pour tenter de déconstruire ces stéréotypes, qui sont parfois très ancrés, et plus globalement pour initier de nouvelles bonnes pratiques. Parmi elles : le fait de former les managers, y compris les plus jeunes, au leadership inclusif. Cela suppose de manager avec empathie et d’accepter la vulnérabilité des femmes et des hommes. 

Former ses managers, et globalement l’ensemble de ses salariés, est-ce suffisant pour combattre le sexisme ordinaire ?  

La formation est indispensable car elle permet de semer les graines, en l’occurrence d’aider les salariés à identifier les situations sexistes. C’est un prérequis essentiel qui permet, ensuite, d’agir. J’y mets toutefois un point de vigilance : comme la lutte contre le sexisme est un sujet de transformation, il doit être considéré sur du long terme. Ainsi, pour qu’elles portent leurs fruits, les formations doivent être régulièrement répétées. À défaut, elles sont effectivement insuffisantes. Les entreprises dans lesquelles il y a de réelles avancées en matière d’égalité professionnelle sont celles où l’ensemble des nouvelles recrues sont sensibilisées au sexisme, où les référents harcèlement sexuel sont connus, où la politique de « tolérance zéro » est communiquée, où les dirigeants font preuve d’exemplarité, comme c’est le cas à la MAIF ou chez L’Oréal, qui portent ces sujets au plus haut niveau hiérarchique. 

Le procès des viols de Mazan : vers une prise de conscience collective ? 

D’après le Haut Conseil à l’Égalité, le procès des viols de Mazan, à l’issue duquel 50 hommes ont été condamnés pour des viols sur Gisèle Pelicot, a favorisé « une prise de conscience » en matière de violences sexuelles et sexistes. La levée totale du huis clos a donné au procès une dimension sociétale. « Le procès Pélicot a été moteur d’une réflexion collective autour du rôle des hommes dans la perpétuation des violences à l’égard des femmes et sur la conscientisation collective qu’il fallait adopter », indique le rapport. 

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