Plutôt que de laisser sommeiller ses bureaux la nuit, le cabinet d’audit KPMG les met à disposition des personnes en situation de précarité. Via l’association « Les Bureaux du Cœur », il a déjà accueilli, depuis l’été 2022, deux profils dans ses locaux lyonnais. Les explications de Laurent Coynel, associé chez KPMG, à l’initiative du projet.
Ces personnes peuvent être des étudiants en situation de pauvreté, des femmes ayant subi des violences conjugales, des personnes étrangères en attente d’une carte de séjour… Bref, ce sont des personnes qui ont connu des accidents de parcours et qui ont besoin d’une solution à court terme.
Laurent Coynel, associé chez KPMG
Comment avez-vous découvert « Les Bureaux du Cœur » ?
J’ai rencontré le fondateur de l’association en octobre 2021 alors qu’il faisait une présentation dans le cadre du Centre des jeunes dirigeants, dont je fais partie à Nantes. À cette occasion, j’ai pu échanger avec lui. J’avoue qu’au départ, je trouvais l’idée intéressante mais je ne voyais pas quelle pouvait être la mise en application de ce concept dans des entreprises qui ont des enjeux de confidentialité et de protection des données, comme c’est le cas chez KPMG. Plusieurs dirigeants de mon réseau se sont toutefois lancés et ont finalement levé mon doute. Je me suis alors rapproché de la direction régionale de KPMG pour obtenir son accord et de ses services de sécurité afin de m’assurer que, d’un point de vue logistique, l’entreprise pouvait proposer un coin cuisine, une douche, un lit…
Quelles personnes avez-vous accueillies jusqu’ici ?
Au cours de l’été 2022, l’association nous a proposé une première personne, qui était elle-même accompagnée par l’un de ses partenaires : le Foyer Notre-Dame des sans-abris, à Lyon. Toutefois, après la visite des locaux, cette personne n’a pas donné suite. Quelques jours après, nous avons signé une convention avec une seconde personne. C’était une femme en plein divorce qui était en recherche d’une solution d’hébergement. Cette convention précisait notamment les engagements des uns et des autres, sur les horaires, les zones de nos locaux librement accessibles, le matériel mis à disposition, la présence durant les week-end… Cette convention était importante pour nous car nous ne voulions pas que la présence de cette personne désorganise nos équipes.
Comment ces personnes sont-elles choisies ?
En réalité, ce sont les associations partenaires des Bureaux du Cœur qui s’occupent de proposer des personnes.
Ce sont généralement des profils qui :
- font l’objet d’un projet de réinsertion ou d’emploi
- n’ont pas de problème d’addiction à l’alcool ou à la drogue par exemple
- sont seuls et sans animal.
Cela peut-être des étudiants en situation de pauvreté, des femmes ayant subi des violences conjugales, des personnes étrangères en attente d’une carte de séjour… Bref, ce sont des personnes qui ont connu des accidents de parcours et qui ont besoin d’une solution à court terme. Elles peuvent benéficier d’un accueil dans les locaux d’entreprise durant trois mois, renouvelables une fois, pour se ressaisir et avoir le temps de trouver une solution plus durable.
Comment s’est déroulée votre première co-habitation ?
À partir du moment où nous leur avons présenté le projet, nos salariés ont tout de suite adhéré. Toutefois, nous regrettons de ne pas avoir eu plus de lien avec cette première personne. Cette femme était très discrète et, comme elle travaillait très tôt le matin, nous ne la croisions jamais. Nous aurions aimé lui faire profiter de notre réseau ou simplement boire un café de temps en temps avec elle. Mais nos horaires n’étaient finalement pas communs. Notre site, qui brasse 400 salariés tous les jours, est sûrement un peu trop grand pour faire naître cet échange humain. Tisser des liens plus étroits est toutefois l’objectif que nous nous sommes fixés avec la seconde personne que nous accueillons depuis quelques jours, un homme seul qui était dans une situation d’extrême urgence.
Quels investissements ont-ils été nécessaires pour accueillir ces personnes ?
Ils ont été très limités. Il nous a suffi d’investir dans des serviettes et des draps, un lit pliable ainsi que de la vaisselle. Nous avions déjà un coin cuisine doté d’un micro-ondes, que nous avons pu mettre à la disposition des personnes accueillies. La question de la confidentialité des données a, elle aussi, été vite résolue. Les lieux de vie de l’entreprise (cafétéria, douche…) étant situés au rez-de-chaussée de nos locaux alors que nos données les plus sensibles étaient situées aux étages, il nous a uniquement fallu désactiver l’alarme d’une zone, et pas des autres. En d’autres termes, cela coûte peu à l’entreprise et l’apport sociétal est important. En tant qu’entreprise à mission, ce projet entre par exemple parfaitement dans notre champ d’action.
Quelle est la prochaine étape ?
Mon objectif, c’est désormais que d’autres bureaux KPMG – nous en dénombrons 240 en France – se saisissent de ce sujet et accueillent, à leur tour, des personnes en situation de précarité. C’est un sujet que j’essaye d’aborder régulièrement à l’occasion de séminaires régionaux. Notre antenne d’Annecy semble par exemple intéressée. Sur l’année, on estime à environ 60 % minimum le temps durant lequel les locaux d’une entreprise sont vides. Dans un contexte où l’on parle d’économie du partage, je pense que l’initiative de Bureaux du Cœur, qui consiste à optimiser davantage les m2 dormants mais néanmoins disponibles, a donc beaucoup de sens.
L’accueil des personnes précaires est un sujet qui vous intéresse ?
Depuis 2010, l’association Lazare permets à des jeunes actifs et/ou des étudiants de partager leur vie avec des personnes SDF dans des lieux adaptés à la colocation.