Quand avez-vous été victime de discriminations ?
Chez mon précédent employeur – un conseil départemental – dès le premier jour ! J’avais été embauché en mai 2021, au moment du ramadan. Le premier midi, plutôt que de manger avec mes collègues, j’ai choisi de rentrer chez moi pour m’occuper de ma fille. Ma hiérarchie a tout de suite conclu que je faisais le ramadan.
J’ai refusé de confirmer ou d’infirmer cette affirmation car j’estime que la religion est un sujet relatif à la vie privée. Comme cette situation se répétait et me mettait mal à l’aise, j’en ai parlé à mon chef, qui ne m’a pas soutenu et qui a minimisé sa gravité. Puis, c’est allé crescendo : les équipes me posaient des questions sur l’islam (« Est-ce vrai que dans les familles, les hommes décident de tout ? ») comme si j’étais la représentante d’une communauté.
La direction des ressources humaines est-elle intervenue ?
En juillet 2021, comme la situation se détériorait, j’ai écrit aux ressources humaines avec, pour libellé, « souffrance au travail ». Les remarques que j’entendais au quotidien frisaient le harcèlement. On n’arrêtait pas de violer ma vie privée alors que l’administration dans laquelle je travaillais se devait de faire respecter la laïcité. Mon chef m’a alors convoquée dans son bureau, sans me prévenir au préalable. Il m’a réprimandé pendant une heure, sans que la DRH, elle aussi présente, intervienne. Je me suis sentie humiliée. L’objectif de cette réunion était que j’exprime mon mal-être. Résultat : je n’ai quasiment pas pu en placer une ! On était plutôt dans un tribunal, à me couper sans cesse la parole, à me dire que la confiance était rompue. Suite à ça, mon chef a décidé de me retirer mes projets et de me rétrograder à des tâches secondaires de veille technique.
Avez-vous continué de travailler à la suite de cet incident ?
J’ai été en arrêt de travail à partir du mois de septembre 2021. En octobre, j’ai de nouveau été convoquée à un entretien, durant lequel on me rapprochait une attitude, qui n’était pas « la bonne ». En janvier 2022, une commission a finalement statué à mon licenciement. Finalement, le conseil départemental a écarté l’idée du licenciement et choisi de ne pas renouveler mon contrat car, de cette manière, il n’avait pas à justifier sa décision. Mon contrat s’est donc stoppé en avril 2022. Mais, le calvaire ne s’est pas arrêté là : mon employeur a volontairement omis de m’envoyer l’attestation employeur qui scellait la fin de mon contrat. J’ai multiplié les courriers et j’ai même organisé une manifestation devant l’hôtel de ville. À cause de cela, je n’ai pu toucher les allocations chômage qu’à partir d’août 2022 et lancer mon activité de consultante qu’en septembre 2022.
Pensez-vous que les actes de racisme sont plus nombreux en entreprise ?
Les lois qui condamnent le racisme se sont durcies mais les comportements racistes se sont ancrés. Aujourd’hui, ils sont mêmes entièrement assumés. Il y a quelques semaines, j’ai partagé mon témoignage sur LinkedIn avant, finalement, de le retirer. J’ai reçu plusieurs dizaines de commentaires racistes (dont « retourne dans ton pays »), entièrement décomplexés de la part de personnes qui apparaissaient avec leur profil public. À l’inverse, en messages privés, j’ai reçu plusieurs témoignages de sympathie de personnes qui vivaient la même chose que moi mais qui n’osaient pas en parler, de peur d’être stigmatisées. Aujourd’hui, revendiquer son homosexualité, c’est certainement plus facile que d’avouer être musulman. Car, en entreprise et plus globalement en France, cette religion est tout de suite rattachée à l’islam radical.
Selon vous, comment lutter contre cette forme de discrimination ?
Je suis incapable de vous dire comment on peut résoudre ce problème. Ce que je sais, c’est que dénoncer la discrimination en rapport à sa religion est risqué. On risque de ruiner sa carrière et de tout perdre. Aujourd’hui, c’est mon cas : je suis consciente qu’aucune administration ne m’embauchera maintenant que j’ai osé témoigner. C’est au rôle des « anciens » – comme moi – de raconter leur histoire pour faire bouger les lignes. Quoiqu’il en soit, je m’inquiète pour les prochaines générations, notamment pour mes enfants, à qui je conseille de ne pas parler de religion lorsqu’ils entreront sur le marché du travail. Ce que je regrette, c’est que les entreprises disposent d’un panel juridique dont elles peuvent se saisir en interne lorsqu’une discrimination religieuse jaillit mais peu l’appliquent. Cette forme de racisme vit donc dans l’indifférence générale. Il suffirait pourtant de communiquer de manière pédagogique sur le sujet.
*nom d’emprunt