Une étude d’Adecco Analytics indique qu’en 2023, 4,5 millions de recrutements devraient être effectués. Dans le même temps, on dénombre en France 500 000 réfugiés en situation de travailler. Pour rapprocher l’offre et la demande, Théo Scubla a fondé each One. Depuis son lancement en 2015, la société à mission a formé et accompagné vers l’emploi plus de 2500 réfugiés de 72 nationalités différentes. Interview.
Comment est née la société each One ?
Je suis le petit fils d’un immigré italien. Ma grand-mère est arrivée en France à l’âge de 10 ans pour rejoindre son père réfugié et n’a jamais réussi à s’intégrer. Elle a longtemps fait des ménages et appartenait, selon elle, à la catégorie des « petites gens ». J’ai grandi avec ce déterminisme social, en l’entendant dire qu’elle était frustrée de ne pas pouvoir être celle qu’elle voulait. Quelques années plus tard, au moment de la crise syrienne, j’ai fait la connaissance de réfugiés qui venaient d’Alep. Je me suis aperçu qu’on partageait un destin commun. En 2015, each One a été créé avec une double ambition :
- permettre aux réfugiés et aux nouveaux arrivants de trouver un emploi durable à la hauteur de leurs compétences
- accompagner les entreprises à recruter les réfugiés via la mise en relation.
En quoi consiste votre accompagnement ?
Each One est une solution de recrutement et de formation. Concrètement, nous créons, à la demande des grandes entreprises, des promotions de personnes réfugiées que nous formons sur 9 métiers en tension, du manutentionnaire au data analyst. La formation dure 400 heures et porte à la fois sur les compétences métiers et les soft skills. 76 % des réfugiés que nous formons obtiennent un recrutement en contrat long (CDI ou CDD de 12 mois), dès le lendemain de la fin de leur formation. Aujourd’hui, nous travaillons avec 27 grands groupes dont Monoprix, BNP Paribas, Ikea… Notre fierté, c’est que 91 % des entreprises ayant testé nos services renouvellent leur collaboration avec nous en augmentant leur volume de recrutement. D’ici trois ans, nous aimerions accompagner 10 000 personnes réfugiées.
Comment les entreprises abordent-elles ces recrutements ?
Celles qui acceptent de sortir de la dimension symbolique d’aider une personne réfugiée l’abordent comme un investissement stratégique. Les personnes réfugiées sont recrutées sur des postes en tension sur lesquelles il est difficile de trouver des candidats. Egalement, leur motivation est contagieuse. Par ailleurs, c’est un facteur de fierté qui peut non seulement répondre aux enjeux de diversité et d’inclusion des entreprises, mais aussi nourrir leur marque employeur. Plus globalement, nous osons dire que cette approche permet de rentabiliser leur politique d’inclusion. Deux mots qui sont rarement rapprochés car elle permet aux entreprises d’augmenter leurs performances, via le recrutement de personnes compétences.
Considèrent-elles parfois ces recrutements comme un risque ?
Recruter une personne réfugiée est un projet plus difficile, donc plus risqué, que de recruter une personne née en France et sortant d’HEC. Pour autant, le retour sur investissement est là. Et il est même meilleur ! Les réfugiés recrutés ont un niveau d’engagement bien plus élevé que les autres, à métier égal. Notre volonté, en tant que tiers de confiance, c’est justement d’aider les entreprises à prendre ces risques. Nous faisons en sorte qu’ils soient limités : nous organisons des rencontres entre les salariés et les réfugiés avant leur prise de poste, nous formons les managers sur la communication interculturelle, nous organisons une phase d’immersion en fin de formation pour faciliter le futur onboarding… Dans la majorité des cas, c’est donc each One qui porte ce risque, non l’entreprise.
Y a-t-il des difficultés qu’elles doivent anticiper ?
Elles doivent garder en tête qu’il existe des freins persistants, périphériques à l’emploi, qui ne peuvent pas se régler en quelques jours. Certains réfugiés ont des quotidiens plus difficiles que d’autres et rencontrent des obstacles pour se loger, faire garder leurs enfants, se soigner… Faire preuve de flexibilité, c’est l’effort que doit consentir l’entreprise. Du fait de l’interculturalité, faire travailler un réfugié avec un Français peut être source de quiproquos. La compréhension mutuelle n’est pas toujours évidente lorsque les individus ne sont pas « formatés » de la même manière. Enfin, nous alertons les entreprises sur le fait de ne pas réduire leurs exigences vis-à-vis de leurs salariés réfugiés. Ne pas leur faire de feedback, c’est les mettre dans une situation d’échec.
Le regard de Pauline Avenel-Lam, Deputy Director of Inclusive Beauty Program chez Fondation L’Oréal
« Ma vision des personnes réfugiées a changé au moment où j’ai commencé à travailler avec each One en 2016. En rencontrant des réfugiés du monde entier, j’ai réalisé qu’il y avait des jeunes gens qui avaient envie de s’intégrer pleinement, qui ne cherchaient pas la pitié des autres, mais qui voulaient simplement qu’on reconnaisse leur background professionnel et académique. Aujourd’hui, lorsque Karam, chargé de projet communication RSE, se balade dans les couloirs de L’Oréal, il connaît tout le monde. C’est le meilleur exemple d’intégration ! »
Pauline Avenel-Lam
Les personnes réfugiées peuvent également compter sur l’association Kodiko
Pour favoriser l’insertion professionnelle des réfugiés (principalement Ukrainiens), Kodiko a développé un programme de “co-training” basé sur la mise en relation de salariés avec des personnes réfugiées. Découvrez le programme dès maintenant !
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