Etat de santé

Se reconstruire, dans toutes les dimensions

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En juin, Carine Vincent a publié sur LinkedIn une photo d’elle. Torse nu, sans seins. Dans le long texte qui accompagne cette photo, elle raconte son cancer du sein, sa double mastectomie et sa volonté d’une « reconstruction à plat à fini esthétique ». Carine milite pour que la « reconstruction à plat » soit reconnue comme une des alternatives possibles après l’ablation d’un ou de deux sein(s) au même titre que les options de reconstruction d’un volume mammaire. Elle évoque aussi sa situation professionnelle. Son texte nous a donné envie de l’interviewer. Elle a accepté de répondre à nos questions.

Pourquoi avez-vous écrit ce texte ?

C’est un texte issu d’une réflexion personnelle que j’ai eu, un samedi soir, chez moi. J’ai écrit ce texte intuitivement, comme un état de mes pensées à cet instant, et j’ai publié dans la foulée. J’avais un petit réseau LinkedIn, et je n’aurais jamais imaginé que mon post suscite autant de réactions (plus de 8 millions de vues à ce jour). Le dimanche matin, je suis surprise du nombre de likes et de partages, et après la machine s’emballe, je reçois des milliers de demande de mise en contact, des milliers de commentaires, mes boites mails sont saturées… Je n’ai pu ni tout lire, ni répondre aux milliers de sollicitations. Parmi les messages lus, j’ai remarqué que les interprétations de mon texte pouvaient être multiples. Certain·es ont pensé que c’était une demande de travail. En fait, il n’y avait pas d’intention particulière dans cette écriture intuitive si ce n’est mon envie de partager mes mots et de les offrir à chaque personne qui serait disposée à les lire.

Justement, vous évoquez votre activité professionnelle dans ce post. Comment gère-t-on la maladie lorsqu’on est indépendant ?

J’ai créé ma société Kindunos Management en 2008. J’y réalisais des Etudes de Sûreté et de Sécurité Publiques (ESSP) pour de gros projets d’urbanisme et de construction en France. Même si je réalisais parfois certaines études en groupement, je travaillais seule dans ma société, avec une approche globale de la sécurité et c’est cette particularité qualitative que mes clients venaient, je pense, chercher. En un mot, je n’étais pas remplaçable dans mon entreprise. Mais cette question est plus vaste que la seule maladie : comment gère-t-on aussi son activité professionnelle lorsqu’on est en profession libérale et enceinte ? La protection sociale des indépendants est tellement différente de celle des salariés. Il faut avoir pris une prévoyance pour pouvoir prétendre toucher des indemnités (avec une double peine puisque, par exception aux salariés, nous ne bénéficions pas des exonérations d’impôt sur le revenu pour ALD de plus de 6 mois et que ces indemnités sont aussi soumises aux cotisations URSSAF).

Mais lorsqu’on ne peut plus travailler, on risque à la fois de perdre ses clients et de ne plus pouvoir payer ses charges irréductibles de société. Trois mois après la naissance de mon fils en 2013, on m’a découvert une maladie auto-immune. Depuis, je vis avec ces difficultés de santé. Les indépendants travaillent jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus travailler.

C’est le cas aujourd’hui ?

Oui. Mon cancer du sein a été diagnostiqué en 2018 et il est donc venu s’ajouté à un état de santé déjà fragilisé par ma maladie auto-immune. Je suis gérante d’entreprise, et je n’ai jamais voulu faire porter à mes clients mon état de santé. Lorsque j’ai appris ma maladie, j’avais 2 gros contrats en cours.  Je savais que j’allais devoir faire face à de nombreux obstacles et que je risquais de ne pas pouvoir répondre aux engagements pris envers mes clients. Je les ai appelés, j’ai dit stop très vite. Ce sont des clients géniaux, qui ont été très présents, très soutenants. Ils ont pris de mes nouvelles. Mais j’ai quand même été obligée de prendre la décision de transmettre mes dossiers à des concurrents.

Aujourd’hui, je suis ancrée dans le présent, la maladie occupe encore une grande place et m’empêche de m’investir professionnellement.  Dans mon parcours de patiente, j’ai dû mettre beaucoup d’énergie pour obtenir de mon équipe soignante qu’elle accepte de me « reconstruire à plat », sans volume mammaire, il m’aurait fallu 9 mois et même un passage avec des faux seins pour enfin obtenir que mes choix pour mon corps soient respectés. Désormais, je peux dire que j’ai appris à m’accepter sans seins et même à développer un sentiment de liberté qui me guide dans mon engagement pour que chaque femme puisse enfin avoir la possibilité de choisir pour elle-même et que, ce que j’ai appelé, la « reconstruction à plat à fini esthétique » lui soit systématiquement présentée comme une des alternatives possibles après l’ablation d’un ou de deux seins.  

Par Véronique Pierré